Sortie littéraire : un bijou qui exprime enfin ce que c’est vraiment d’« Être mère »

19 avril 2024

Sous la houlette de l’écrivaine Julia Kerninon, six autrices et mères ont pris la plume pour exprimer la dure et douce expérience, l’immense complexité, le troublant paradoxe qui se cache derrière la maternité. « Être mère » est un bijou sorti en avril 2024 aux éditions l’Iconoclaste. Il vous transperce et vous emporte dans ce monde étrange et fascinant. Il dit enfin la vérité, sans concession, sans tabou. Born in Brussels l’a lu pour vous.

Crédit photo : Sofia Douieb

 

Pour une fois, je ne me cacherai pas derrière mon statut de journaliste et coordinatrice adjointe de Born in Brussels. Pour une fois, je m’exprimerai en tant que Sofia, mère d’un grand garçon de 8 ans. Parce que je sais aussi ce que c’est d’être mère. Ce livre exprime tout haut ce que j’ai toujours gardé tout bas. Se plaçant loin des clichés et du bien pensant, il dit enfin ce que chaque (future) mère devrait vraiment savoir à propos de la grossesse, de l’accouchement, de la découverte de la maternité, de la peur qui ne vous lâche plus…

Galerie d’œuvres d’art sur la maternité

Ce que j’ai lu dans « Être mère » a résonné au plus profond de mes entrailles. Parce que des lectures font ça parfois. Parce que c’est si rare de lire des mots qui sont l’exact prolongement de ce qu’on pense, de ce qu’on vit ou ce qu’on a vécu. Chacune des sept autrices à succès – Julia Kerninon, Claire Berest, Adeline Dieudonné, Clémentine Beauvais, Victoire de Changy, Camille Anseaume et Louise Browaeys – offre un texte poignant et incisif d’une dizaine de pages aux lecteur.rice.s ; chacune dans son propre style, son propre rythme. Julia Kerninon, la cheffe d’orchestre, ne voulait pas de témoignages, mais une “galerie d’œuvres d’art sur la maternité” ; pour ne pas avoir à choisir “entre politique et poétique”. Et c’est, selon moi, une totale réussite où l’on retrouve de l’engagement, de l’intime, de l’humour, des coups de gueule, des épanchements, des remises en question, des mises à nu… Tout cela sur cette thématique commune partagée par “la moitié de l’humanité”. 

Lancement à la librairie Les yeux gourmands

Lancement du livre “Être mère”, le 4/04/2024 à la librairie Les yeux gourmands, en compagnie de deux des autrices : Adeline Dieudonné et Victoire de Changy – Crédit photo : Sofia Douieb

Présente au lancement du livre “Être mère” à la librairie Les yeux gourmands (Saint-Gilles) le 4 avril dernier, je ne me doutais pas encore de ce que j’allais découvrir au sein des 155 pages du recueil, ni même d’en être bouleversée à ce point. Deux autrices belges – les autres sont Françaises – étaient présentes : Adeline Dieudonné et Victoire de Changy. Elles ont partagé avec l’assistance leur expérience respective de la maternité et l’angle choisi pour le texte repris au sein du livre. Dans le préambule de ce dernier, il est écrit ceci : “Adeline Dieudonné attaque frontalement la question de la peur qui ne nous quitte plus quand nous devenons parent, et que nous avons pourtant été incapables de deviner avant de l’être. (…) Victoire de Changy décrit sa vie avant ses enfants, ce qu’ils suspendent et ce qu’ils étendent.” Durant cette présentation, comme au sein de l’ouvrage, il n’y avait pas de tabou. Elles se sont mises à nu devant l’assistance et n’ont pas tenté d’idéaliser ou d’édulcorer la réalité. Être mère, c’est foutrement compliqué, prenant, aliénant, envahissant, déformant, mais on le referait encore et encore tant ces petites merveilles grincheuses nous font voir la vie autrement, nous apportent un amour pur et sincère, nous transcendent et nous élèvent… C’est là tout le paradoxe de la maternité : oui c’est dur et douloureux, mais c’est aussi tellement beau qu’on a envie de crier de bonheur et d’amour.

Un souffle, une phrase, aucun point

Un texte en particulier m’a autant impressionné que prit à la gorge d’émotion. Il m’a littéralement coupé le souffle et empêché de respirer. “Pas de gâteau” – c’est le titre du récit de Claire Berest – fait vingt pages (de la 67 à la 87) ; vingt pages pour aucun point et si peu de virgules. Parce qu’avoir des enfants, “ça ne cesse pas, ça ne peut plus jamais s’arrêter, nul autre sacrifice n’est comparable à cet irrémédiable adieu à la liberté, j’ai deux enfants, j’ai deux enfants, c’est le présent pur tous les jours, il n’y a pas de point, à peine de virgules, c’est une seule phrase perpétuellement commencée, une phrase-noyade”. Dans ce texte qui semble ne jamais prendre fin, l’autrice évoque le “grand tourbillon” que crée la venue d’un enfant, “cette impression d’être constamment en équilibre précaire entre le passé et le présent, artiste et animal à la fois”.

Quelques phrases marquantes

J’ai envie de partager ici quelques phrases de cette poignante lecture qu’on a peine à lâcher :

  • “Parfois je suis une mère sans m’en sentir une, parfois je suis une mère sans avoir l’impression d’exister encore en tant que personne.” – Julia Kerninon
  • “Au pire, ces manuels ont recouvert la maternité d’un voile niais, presque totalitaire, en commençant les phrases par ‘il faut’ et en nous dictant les sentiments que nous devions avoir.” – Louise Browaeys
  • “Faire des enfants nous transforme en créatures nues, vulnérables, nous place dans une roue de torture médiévale qu’un simple accident pourrait activer, nous labourent l’âme pour l’éternité.” – Adeline Dieudonné
  • “Ce qui pousse en toi n’est pas ton prolongement, ta continuité, toi en minuscule ou je ne sais quelle connerie, non, ce qui pousse en toi est le pur étranger, qui aura des qualités et des défauts que tu ne peux qu’extrêmement peu influencer”. – Claire Berest
  • “La maternité ne m’a pas appris de grandes choses. Les grandes choses je les ai faites, et elles sont présentement à la crèche et au collège.” – Camille Anseaume
  • “La réappropriation féministe de la naissance est paradoxale, complexe. Malaisante, je dirais même. Parce qu’elle vibre de toutes les contradictions qui secouent aujourd’hui les existences des femmes et qui rendent la définition même du terme féminisme maladroite, malaisante, bizarre. Parce qu’elle émerge, aussi, après tant de millénaires à se taire.”  – Clémentine Beauvais
  • “Dans cette façon d’être à eux plutôt qu’à soi, j’ai trouvé la possibilité d’abandon. (…) Je ne situe plus celle que je suis ou fus. (…) Je cherche avec une peine que je ne soupçonnais pas les angles de vue où mes enfants ne se trouvent pas. Ce qui avant eux m’anima. Ce qui m’inspira.” – Victoire de Changy

 

Sofia Douieb