Le congé de maternité

Une interview de Tineke, 33 ans, résidente de Laeken, maman de Hannes, 1 an et 2 mois.

Tineke, lorsque je vous ai proposé d’être interviewée, vous avez tout de suite évoqué votre envie de parler de votre « long » congé de maternité et de l’importance pour vous de rester auprès de Hannes lors de ses premiers mois de vie, pourquoi ce sujet ?

Parce que c’est un sujet d’actualité. Dans les crèches flamandes, maintenant, il peut y avoir 9 enfants par puéricultrice. Avant c’était 8 et c’était déjà beaucoup trop, alors 9 !

J’ai encore vu récemment une interview de Binu Singh, une pédopsychiatre, qui parlait de l’importance des 1000 premiers jours d’un enfant. Créer un bon attachement avec son enfant à cette période est très important. Certaines personnes vous disent « Tu câlines trop ton bébé, tu le gâtes trop, il va devenir difficile… » mais c’est tout le contraire ! Il n’y a jamais trop d’affection ou trop de câlins. Ce sont des idées encore très ancrées dans notre société. Malheureusement, notre société ne semble pas prête à offrir les meilleures solutions qui permettraient à nos enfants de s’épanouir pleinement.

Pourtant, en France par exemple, les nounous ne peuvent s’occuper que de 4 enfants maximum. La personne qui garde votre enfant est la même tout le temps et 4 c’est gérable. Les enfants croisent aussi parfois le mari de la nounou ou ses enfants qui sont plus grands. Cela donne un cadre convivial, familial. C’est comme une grand-mère qui s’occuperait de ses petits-enfants.

Je suis attachée à la notion de « tribu ». Il y a un proverbe qui dit « It takes a village to raise a child ». Et c’est vrai. J’aime l’idée que mon enfant soit entouré d’un petit groupe de personnes, des personnes proches qui peuvent, chacune, le faire grandir.

Dans notre société, les choix en tant que parent sont malheureusement limités. Heureusement pour nous, une place était disponible dans une crèche communale à Laeken. Là-bas, il y a 1 adulte pour 5 enfants, 3 personnes pour 15 enfants. En plus, il y a une personne référente qui s’occupera de Hannes lors de toute son expérience à la crèche, j’en suis vraiment contente. Dans cette crèche, les gens sont relax et souriants, ce qui est important pour moi. Selon moi, avec 9 enfants par personne, ce ne serait pas possible d’être relax.

Une autre raison, c’est qu’il y a aussi des mamans qui se sentent coupables de ne pas être restées auprès de leur enfant plus de trois mois. En laissant son enfant à la crèche, on rate toutes ses « premières fois ». Quelqu’un d’autre que vous va lui apprendre à manger, va le voir évoluer, marcher, etc. Moi j’avais envie de partager tous ces moments avec Hannes.

Quelle était votre façon de penser sur ce sujet avant l’arrivée de Hannes ?

Tout ce que je viens de vous dire, je n’y pensais même pas. On n’a aucune idée de ce qui est important ou pas avant d’avoir son premier enfant. Vous ne savez pas vraiment à quoi vous attendre. Vous visitez des crèches alors que vous n’avez pas encore découvert votre bébé.

Avec mon compagnon, on a choisi la crèche communale de Laeken parce qu’elle était proche de chez nous, qu’elle avait développé un projet écologique et que ça nous tenait à cœur, et aussi parce qu’il y avait 1 puéricultrice pour 5 enfants. Mais si j’avais eu l’expérience que j’ai maintenant, j’aurais posé tellement plus de questions ! Qu’est-ce que vous faites si l’enfant fait une « crise » ? Est-ce que vous faites des câlins aux enfants ? Combien de temps ont-ils pour jouer librement ? Combien de temps peuvent-ils dormir, où, quand, comment ?

Et le congé de maternité, vous en pensiez quoi avant l’arrivée de Hannes ?

Je me souviens qu’un jour une amie m’avait dit qu’elle était restée avec son bébé pendant 7 mois. J’avais trouvé ça bizarre… Qu’est-ce qu’on fait pendant 7 mois avec son enfant ? Mais ça a bien changé avec l’arrivée de Hannes.

À la base, je voulais rester 5 mois à la maison avec lui. Je voulais recommencer à travailler en septembre pour pouvoir assurer la suite de mes projets au boulot. Il faut dire que je venais de trouver le job de mes rêves et que j’étais partagée entre l’envie de rester auprès de mon enfant et la volonté de poursuivre mes projets auprès de mon employeur. Puis, un jour, j’en ai parlé à une collègue qui était maman, et ce qu’elle m’a dit m’a marquée. « Tu sais, ton enfant il ne sera petit qu’une seule fois. Des projets au boulot, il y en aura toujours… ». Ça m’a fait réfléchir.

Vous m’avez dit avant l’interview que l’arrivée de Hannes avait tout bouleversé et avait complètement changé votre façon d’appréhender le congé de maternité. Y a-t-il quelque chose de précis qui vous a fait changer d’avis ?

Hannes était tellement petit… Je ne pouvais m’imaginer être sans lui, ni que quelqu’un d’autre puisse passer plus de temps avec lui que moi. Par exemple, vers l’âge de 6 mois, on commence à passer à l’alimentation solide. Eh bien, je voulais être là à 6 mois pour faire ça. Je voulais le faire moi-même.

Finalement, je suis restée 8 mois avec Hannes. Et si j’ai un deuxième enfant, j’ai bien l’intention de rester encore plus longtemps avec lui !

Quels avantages avez-vous trouvés en restant auprès de Hannes plutôt qu’en reprenant une activité professionnelle directement après votre congé de maternité ?

Le plus important pour moi, c’est qu’en passant du temps avec mon enfant, j’ai créé un excellent lien d’attachement avec lui.

Ensuite, en restant à la maison, on peut suivre le rythme de son bébé. Vous pouvez cuisiner tranquillement, jouer avec lui le soir, vous reposer. Vous êtes plus détendue.

De l’autre côté, à la crèche, les enfants tombent tout le temps malades. On pense souvent que c’est bon pour leur immunité, mais j’ai appris récemment qu’on ne construisait son immunité qu’à partir de l’âge d’un an. Donc ça ne sert à rien qu’ils soient régulièrement malades alors qu’ils n’ont que quelques mois. Moins de maladie, c’est aussi moins de stress, moins de fatigue et surtout moins de journées « perdues » à rester à la maison avec son enfant. Si votre enfant est en forme, vous pouvez aller vous promener avec lui, etc. Et puis, il y a tant de parents qui doivent prendre des congés pour rester auprès de leur enfant malade parce qu’il ne peut pas aller à la crèche… Ils perdent ainsi des journées de congé qu’ils auraient pu consacrer pour de chouettes activités à faire avec leur enfant.

Pour moi, allaiter longtemps, c’était important. En restant à la maison, c’était bien plus simple, parce que tirer son lait au travail, c’est stressant. Si vous ne tirez plus votre lait, votre production diminue donc il faut continuer, même au boulot, et ce n’est pas gai.

Quels jugements avez-vous reçus de la part des autres ? Quelles ont été les petites phrases qui vous ont blessée ou marquée ?

Déjà avant la naissance de Hannes, j’ai reçu des critiques de la part d’une kiné périnatale parce que j’étais suivi par une sage-femme. Elle n’était pas d’accord, elle voulait que j’aille voir un ou une gynécologue.

Une fois que Hannes était là, un autre kiné périnatal m’a dit : « Il faut couper le cordon » parce que j’aimais prendre Hannes dans mes bras. Ça n’a pas de sens !

De manière générale, je me sentais très à l’écart des opinions de nombreuses personnes… En restant aussi longtemps auprès de Hannes, je me sentais jugée. Mais j’ai adoré cette période !

Avez-vous aussi reçu des avis positifs ?

Lors de mon « long » congé, je me suis toujours sentie un peu anormale. Mais quand j’ai raconté mon congé de maternité à des collègues autrichiennes, elles ont trouvé que, 8 mois, c’était court ! Tout est une question de point de vue finalement…

Comment avez-vous géré le manque à gagner en restant à la maison avec Hannes plutôt qu’en retournant travailler ?

Sans mon compagnon, je n’aurais pas eu cette possibilité. Malheureusement, pour les mères célibataires qui ont un petit budget, ce choix doit être bien compliqué. Je me demande comment elles font en tout cas…

J’ai d’abord eu mon congé de maternité pendant 3 mois. Enfin… J’ai quand même perdu 11 jours parce que Hannes est arrivé plus tard que prévu. Encore un point négatif qu’on pourrait soulever concernant le congé de maternité… Ce congé-là était financé par la mutuelle.

Puis j’ai pris un congé d’allaitement pendant 2 mois. Là, c’était du sans solde. Je n’ai rien touché.

Ensuite, j’ai pris un congé parental pendant 3 mois. J’ai reçu une compensation financière de la part de l’ONEM mais ça n’équivalait pas à un salaire. Ce n’était pas grand-chose.

Comment s’est passé votre retour au travail ? Quelles ont été les difficultés mais aussi les points positifs ?

Côté positif, à la crèche, j’ai pu faire une vraie transition avec Hannes. Là-bas, nous avons eu deux semaines d’adaptation. Au début j’ai pu l’accompagner, puis le déposer quelques heures tout seul, puis, seulement après ces premières étapes, il a passé une journée complète à la crèche. Ça s’est fait en douceur. Dans les crèches flamandes, on n’a qu’une après-midi pour acclimater son enfant à la crèche. C’est trop peu !

Et puis, au boulot, ma cheffe est compréhensive, on peut faire du télétravail, les horaires sont flexibles et j’ai pu prendre un crédit-temps. Le crédit-temps aussi est financé par l’ONEM. Maintenant je travaille en 4/5ème. Grâce à cela, je peux mieux concilier ma vie de famille et ma vie professionnelle.

Les points négatifs, c’est que j’ai dû tirer mon lait au boulot et que je n’aimais pas ça. Et puis c’était quand même compliqué de retrouver ma place après 8 mois d’absence.

Et qu’en est-il du congé de paternité ? Votre compagnon a-t-il pu en bénéficier ? Si oui, combien de temps et qu’en avez-vous pensé ?

Il a eu 15 jours de congé mais j’aurais préféré qu’il reste au moins 6 semaines avec moi et Hannes. Ne fut-ce que le temps que mon corps guérisse… Avoir un accouchement n’est pas sans conséquence. Votre corps a besoin de temps pour s’en remettre. Si vous avez subi une césarienne par exemple, vous ne pouvez plus soulever de charges lourdes pendant un bon moment. Quand on se retrouve seule chez soi, qu’on veut ramasser un jouet, prendre son enfant dans les bras, comment fait-on alors ?

En Allemagne, les parents peuvent se partager un an de congé. C’est bien mieux. Heureusement, Julien a aussi la possibilité de prendre un crédit-temps. Pour l’instant, il n’en a pas encore profité mais, au moins, il sait que c’est possible.

Quelles sont vos revendications par rapport à tout ce que nous venons d’évoquer ?

Aujourd’hui, nous n’avons pas vraiment la possibilité de rester à la maison avec nos enfants. En tout cas, ce n’est pas une option envisageable pour tout le monde. Au niveau financier, c’est compliqué, mais aussi au niveau psychologique. Ce n’est pas valorisé par notre société. En faisant ce choix, on reçoit encore beaucoup de critiques. Et il n’y a pas beaucoup d’autres alternatives que la crèche ou le fait de rester avec son bébé.

Je ne juge pas les parents qui souhaitent reprendre rapidement le chemin du travail. Tout le monde n’a pas envie de s’occuper des langes sales, de gérer les pleurs et de préparer des petits pots à longueur de journée, mais j’aimerais que chacun ait le choix. Récemment, j’ai lu que Conner Rousseau, un homme politique, avait dit qu’il fallait imposer la crèche à tous les enfants à partir de 6 mois ! Il se base sur ce qui est fait au Danemark mais le contexte est bien différent en Belgique ! Au Danemark, les enfants restent plus longtemps avec leurs parents. Cependant, la crèche y est obligatoire à partir d’un an pour les enfants vivant dans certains quartiers défavorisés. Sans oublier les conditions des crèches en Flandre avec 9 enfants par puéricultrice… Je trouve que cette proposition ne fait pas sens pour beaucoup de parents et elle n’est pas spécialement en faveur du bien-être des bébés. J’aimerais voir les bases scientifiques sur lesquelles il s’appuie pour faire une telle proposition. En écoutant Binu Singh, il semble que tout le contraire soit préférable. Je suis bien contente de vivre à Bruxelles où les crèches s’organisent différemment.

Aujourd’hui, on constate de plus en plus de problèmes chez les adolescents. Le nombre de suicides est en hausse. Mais c’est lors dans la petite enfance qu’on peut prévenir ces choses-là. Si on arrive à créer un bon lien d’attachement avec son enfant, ce bien-être pourra se poursuivre toute sa vie. C’est aussi un message important à faire passer.

Enfin, il y a un problème avec le crédit-temps. Ce crédit n’est accordé qu’à certaines conditions. Vous pouvez obtenir un crédit pour vous occuper de votre enfant de moins de 8 ans, faire des soins palliatifs, soigner un membre de votre famille qui est gravement malade, etc. C’est vraiment une belle initiative mais, en règle générale, seul 5 % des employés d’une même société peuvent en bénéficier en même temps. Donc, parfois, vous n’y avez pas droit, ce qui n’est pas juste.

 

LE P’TIT +

Puisque Born in Brussels est un projet purement bruxellois, j’aimerais encore savoir ceci… Vivre en ville présente de bons et moins bons aspects, d’autant plus quand il s’agit d’une très grande ville comme Bruxelles ! En tant que maman, qu’est-ce qui vous facilite la vie à Bruxelles et quels sont les moins bons côtés de cette vie citadine ?

Ce qui est positif, c’est qu’à Bruxelles il y a plein d’initiatives super intéressantes pour les enfants et les parents : les « babytheek », « café puree », la page Facebook « bxlbabies », « Baboes », etc. Nous avons aussi plus de choix de crèches. C’est vrai que c’est compliqué d’obtenir une place mais il y en a quand même beaucoup. Dans une plus petite ville il n’y en a que quelques-unes et on ne trouve pas forcément ce qu’on souhaite pour son enfant. À Bruxelles, tout est à proximité. S’il me manque quelque chose pour Hannes, je sors de chez moi et, en quelques minutes, je trouve ce dont j’ai besoin. Même le dimanche il y a toujours un supermarché ouvert.

Côté négatif, je me déplace beaucoup à vélo et j’adore ça. Mais si je prends Hannes avec moi, j’ai peur.

Avez-vous un ou deux bons filons pour les autres parents bruxellois qui nous lisent ?

Les « babytheek », c’est pratique, on y trouve tout en seconde main. Pour Hannes, j’ai tout acheté sur le site « 2ememain.be » et j’ai aussi reçu pas mal de choses d’autres parents.

Quel est ou quels sont les deux ou trois ouvrages / podcasts / émissions qui vous ont guidée en tant que maman ?

J’ai suivi des formations vidéo d’Anja Caers sur les liens d’attachements et comment jouer avec son enfant. Elle est ostéopathe et coach sur le sommeil.

Le KiiND Magazine, « Hét tijdschrift over natuurlijk ouderschap », est chouette à lire aussi.

Et puis j’aime beaucoup la méthode de Stefan Kleintjes sur la façon de nourrir son enfant et de lui apprendre à manger de la nourriture solide. Il est l’auteur de plusieurs livres sur l’allaitement, etc.

Enfin, vous m’avez proposé de nous rencontrer au Lloyd Coffee Eatery à Saint-Gilles. Qu’est-ce que vous pensez de ce lieu maintenant que vous l’avez testé ? Hannes a bien joué ici ! Saviez-vous qu’il est référencé dans nos « bons plans » sur le site ?

J’en avais entendu parler via une amie et j’avais envie de le découvrir. C’est franchement bien ici ! Le coin pour enfant est bien pensé. Il y a beaucoup de jouets, c’est lumineux et agréable. C’est en effet un bon plan pour les parents et les enfants.

Merci Tineke !

 

 

Propos recueillis par Rebecca Lévêque